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Le droit à la déconnexion #1

Un droit, un devoir

Par Olivier PERON 8 février 2018

Depuis le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion s’applique en France, dans les entreprises de plus de 50 salariés. L’occasion, un peu plus d’un an après le début de son application de revenir sur cette loi. De revenir sur les évolutions technologiques, sociétales et revendications managériales, qui ont pu conduire à l’écriture de celle-ci. Et sur deux textes qui en ont été à l’origine, comme le rapport de Bruno Mettling, Transformation numérique et vie au travail, et l’Accord National Interprofessionnel de juin 2013 sur la qualité de vie au travail. Nous évoquerons prochainement d’autres aspects du droit à la déconnexion : les usages du numérique et des écrans confrontés à nos besoins, et un passage de revue de solutions collectives et individuelles qui peuvent être mises en place.

Ce que dit la Loi

En vigueur depuis le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion est inscrit dans le code du travail depuis cette date à l’article L-2242-17. Cet article donne les thèmes à aborder, au nombre de sept, au cours de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. Pour simple rappel, un lien ici pour être au clair sur les négociations obligatoires après les ordonnances Macron. L’article L-2242-17 concerne principalement les entreprises de plus de 50 salariés, pour rester simple. Il contient les sept thèmes suivant à aborder au cours de cette négociation :

– L’articulation vie professionnelle et vie personnelle

– l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

– Les mesures de lutte contre les discriminations

– Les mesures relatives à l’insertion et au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés

– Les modalités de définition d’un régime de prévoyance

– L’exercice du droit d’expression directe et collective des salariés

– Les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion

Dans le détail

Donc l’alinéa 7, en vigueur depuis janvier 2017, est celui qui concerne le droit à la déconnexion. Dans son intégralité, il précise :

La négociation porte sur les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.

C’est la négociation, au sein de l’entreprise, qui va définir au cas par cas, comment appliquer ce droit à la déconnexion. Et à défaut d’accord sur cette question, il est demandé à l’employeur de rédiger une charte à destination de tous, pour la mise en place de formations pour un usage « raisonnable ». La question de l’usage reste donc entière parce que la définition de raisonnable n’est pas simple  à harmoniser au sein d’un collectif, à fortiori au sein d’équipes ou d’entreprises. Ce droit n’a rien de contraignant à priori. Mais en cas de manquements, l’entreprise pourrait se voir sanctionner. Marion Cornu, avocate associée chez Fidal, évoque les sanctions possibles dans un article sous titré un droit à géométrie variable. Rédigé avec Isabelle Barbut, cet article donne aussi un mémento avec huit étapes à suivre pour bien réussir sa négociation.

Mais comment en sommes nous arrivés, en France à légiférer sur cette question ? Et face à ce droit à la déconnexion, où se situe la responsabilité individuelle ? Sommes-nous en permanence en situation de subir notre environnement, ou bien en avons-nous une maitrise ? Ne serait-il pas temps de reparler de devoir de déconnexion ?

 

Un devoir de déconnexion ?

Tout d’abord, dans plusieurs entreprises, il existe des chartes sur l’usage du numérique, sur l’usage des messageries, sur la déconnexion qui préexistaient à la loi. Au-delà de ces cas qui étaient isolés, le rapport de Bruno Mettling a mis en lumière cette question de la déconnexion. Intitulé Transformation numérique et vie au travail, il a largement inspiré la rédaction de l’alinéa 7 de l’article de loi, et avait été remis en septembre 2015 à la Ministre du Travail, Myriam El Khomri.

L’enjeu de ce rapport est de lier performance économique et qualité de vie au travail :  pour les entreprises, aujourd’hui il s’agit d’anticiper les changements pour faire face aux risques et d’accompagner la performance économique d’une amélioration de la qualité de vie au travail. Et au-delà de l’équilibre vie pro/vie perso, il s’agit plus largement de la question de la santé au travail. Le rapport préconisait une approche préventive de ces questions, et introduisait une coresponsabilité sur la déconnexion. A la fois un droit, mais également un devoir de déconnexion. Et c’est sur ce point que nous reviendrons un peu plus loin.

Pour synthétiser, l’auteur, ancien DRH chez Orange identifie six impacts majeurs du numérique, qui sont la diffusion massive de nouveaux outils de travail, connectés, la mutation des métiers et le développement de nouvelles compétences, l’environnement de travail des cadres, l’impact sur l’organisation du travail , sur le management, et enfin la multiplication de l’emploi hors salariat. Face à ces potentialités, il développe son diagnostic selon trois axes, au niveau du cadre de travail, de la qualité de vie au travail et sur la fonction managériale. Et enfin, il termine par 36 préconisations, sur les champs précédents, en y ajoutant l’éducation et la co-innovation. Il pose très bien l’enjeu de la connexion face à l’articulation entre vie privée et vie professionnelle.

Extrait :

1/ tous les salariés n’ont pas le même pouvoir de négocier et de réguler la frontière vie pro /vie perso, car les facteurs qui l’influencent sont nombreux : catégorie socio-professionnelle, âge, sexe, horaires atypiques/variables, composition de la famille, habitudes, équipement/usages…

2/ il est de la responsabilité de l’employeur d’assurer le respect de la santé et la sécurité des salariés, notamment en garantissant les temps de repos.

3/ savoir se déconnecter au domicile est une compétence qui se construit également à un niveau individuel (des rapports au temps) mais qui a besoin d’être soutenue au niveau de l’entreprise (chartes, actions de sensibilisation), ainsi que par des contextes collectifs favorables (réciprocité entre les salariés).

Le droit à la déconnexion est donc bien, pour Bruno Mettling une coresponsabilité du salarié et de l’employeur, ce qui implique également un devoir de déconnexion. La recherche de solutions comme la déconnexion relève donc autant d’une éducation au niveau individuel que d’une régulation au niveau de l’entreprise.

Cette notion de devoir n’a pas été reprise explicitement dans la loi. Elle y figure implicitement avec les plans de formation et de sensibilisation. Explicitement, cela aurait permis de responsabiliser chacun et chacune, sur les usages qu’il fait de ses outils et ses applications numériques. Cela aurait permis de s’interroger à titre individuel sur les conséquences de ces usages sur sa santé et sur son entourage.

Parce que l’usage des outils numériques irrigue l’ensemble de la société, il est important de rappeler ce devoir de déconnexion. Tout le monde ne travaille pas dans des entreprises de plus de cinquante salariés et est tout autant confronté à cette hyperconnexion et cette infobésité. D’autres solutions que celles passant par la loi, doivent donc être inventées, pour les TPE, pour les indépendants, les commerçants, les professions libérales. Là nous pouvons parler de devoir de déconnexion, car il n’existe pas de cadre contraignant, législatif. Devoir, car dans le cadre de solutions individuelles, il importe de bien se connaitre et de bien développer les compétences liées à a gestion du temps.

Pour l’ensemble des salariés ou non salariés, l’enjeu porte bien évidemment sur une question de qualité de vie au travail, qui est une aspiration et une notion récente dans le droit du travail. Voyons d’où vient cette notion, et ce qu’elle contient, loin de certains clichés à la mode. 

 

La Qualité de Vie au Travail 

La notion de qualité de vie au travail est récente, et apparait dans des textes officiels pour la première fois en juin 2013, dans un accord national interprofessionnel, signé par les syndicats et les représentants patronaux. Cet accord est intitulé « Vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail  et de l’égalité professionnelle »

Dans son introduction, il est précisé :

La qualité de vie au travail vise d’abord le travail, les conditions de travail et la possibilité qu’elles ouvrent ou non de « faire du bon travail » dans une bonne ambiance, dans le cadre de son organisation. Elle est également associée aux attentes fortes d’être pleinement reconnu dans l’entreprise et de mieux équilibrer vie professionnelle et vie personnelle. Même si ces deux attentes sont celles de tous les salariés, elles entretiennent dans les faits un lien particulier avec l’exigence de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes en matière de salaires et de déroulement de carrière. Il apparait que « la performance d’une entreprise repose à la fois sur des relations collectives constructives et sur une réelle attention portée aux salariés en tant que personnes ». La compétitivité des entreprises passe notamment par leur capacité à investir et à placer leur confiance dans l’intelligence individuelle et collective pour une efficacité et une qualité du travail. Elle dépend aussi de leur aptitude à conjuguer performances individuelles et collectives dans le cadre du dialogue social. La qualité de vie au travail contribue à cette compétitivité.

Au-delà des effets médiatiques, et loin des clichés parfois redondants du baby-foot ou du cours de yoga, cet accord donne une définition plus consistante de la Qualité de Vie au Travail. Et du bien-être en entreprise, de l’accomplissement personnel et de la performance collective. La définition qui donnée en est la suivante : La qualité de vie au travail peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué.

La qualité de vie au travail englobe donc les questions de considération, de formation, de reconnaissance, de partage de sens, et la question de la gouvernance. Contrairement à une mode médiatique, le bien-être c’est vraiment la question de la réussite professionnelle, de son évolution, de son accomplissement en tant qu’individu au sein d’une entreprise, d’une organisation.

Il était important de revenir sur ces points définis en 2013, qui permettent de bien distinguer entre des démarches sérieuses et respectueuses, d’autres qui pourraient apparaitre plus superficielles sur l’amélioration de la qualité de vie au travail.

 

En conclusion

Face à une aspiration nouvelle et forte sur la qualité de vie au travail, face à un environnement technologique développé de manière exponentielle, face a de nouvelles formes de travail, comme le télétravail, la loi sur le droit à la déconnexion peut sembler ne pas répondre aux enjeux. D’abord, parce qu’elle reste limitée aux entreprises de plus de cinquante salariés et ensuite parce qu’elle n’aborde pas explicitement le devoir de déconnexion. Mais elle a permis d’inscrire dans la Loi les travaux récents de Bruno Mettling et des partenaires sociaux en 2013, et de faire de la déconnexion un vrai sujet, une vraie préoccupation. Il faut d’une part faire confiance à la négociation, et puis diffuser ce devoir de déconnexion qui concerne tout un chacun quel que soit son poste et son statut. Dont chacun doit s’emparer, pour sa propre qualité de vie et une bonne harmonisation entre sa vie professionnelle et sa vie privée.

Quand le numérique devient ainsi le maître de notre temps, on perd l’auto-contrôle de notre vie. Sylvie Droit-Volet